© Centre Hospitalier de Valenciennes

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Entretien avec Marie Fortuit

Tu es une ancienne footballeuse. Trouves-tu des analogies entre football et théâtre ?

On retrouve le collectif et l’esprit d’équipe. Mais aussi la solitude qui existe dans l’effervescence de l’action. Le trac que l’on peut ressentir sur scène ressemble à celui de l’instant crucial du penalty.

Le créateur, le metteur en scène est une forme de coach. La force d’une équipe est avant tout psychologique. Les énergies du public nous portent : on sent s’il est avec nous ou pas.

Le rapport au corps est central : il est notre outil. Antonin Artaud disait : « L’acteur, c’est un athlète affectif. » Dans les deux cas, la sensibilité est primordiale : l’intuition dans le sens du « jeu ». Toute cette connivence avec le partenaire et le groupe permet de donner et recevoir.

 

De quelle façon ta résidence au Centre Hospitalier de Valenciennes nourrit ton travail artistique ?

C’est un voyage initiatique. Il existe une proximité extraordinaire avec les personnes, un rapport très intime. Je chante des chansons, je dis des poèmes, je propose des ateliers d’écriture. 

Dans les textes de théâtre, on traite de la vie, de la mort, de l’amour. Là, cela devient concret. Le nom des Remèdes de l’âme est bien trouvé.

En Inde, celui qui veut devenir acteur ou metteur en scène est soumis à un rite initiatique : Il doit passer du temps avec une personne qui accouche et une autre qui décède. J’ai l’impression de vivre cette même expérience. Elle me transforme en tant qu’être humain. C’est puissant. J’y puise de la force parce qu’on est centré sur l’essentiel.
Le travail en psychiatrie révèle le lien évident entre l’art et la folie. Certaines personnes écrivent extrêmement bien.


Tu es originaire du territoire et ta compagnie est implantée à Saint-Saulve. En quoi cela prend-il sens pour toi ?

Je bénéficie d’un accompagnement très précieux du phénix. Le fait que cette démarche ait lieu à Valenciennes prend une résonance particulière.
Ma grand-mère est décédée dans cet hôpital, quelqu’un de très proche y est né. Je pense beaucoup à toutes ces ombres, au dialogue avec nos morts, nos absents. Je suis confrontée directement aux questions existentielles qui nous traversent tous.

Cette résidence fait aussi écho à mon travail de création sur le texte d’Elfriede Jelinek, Ombre (Eurydice parle). Cette femme qui a été mordue par un serpent mais qui vit en réalité une deuxième naissance. Sa descente aux Enfers auxquels l’a condamné Orphée devient une libération, une émancipation vers la créativité.

 

Pourquoi avoir choisi, pour tes ateliers, la thématique du moment où tout bascule ?

Je désirais partager avec les soignants et les patients l’idée de renaissance.
« Le jour où » fait souvent surgir des récits qui évoquent la disparition. Comme une sorte de dialogue avec l’invisible. Une adresse aux morts mais aussi aux vivants dont on fait le deuil de façon diverse.
J’ai été inspirée par les ouvrages de la philosophe Vinciane Despret mais aussi par le témoignage de l’anthropologue Nastassja Martin qui a été défigurée par un ours. Elle ne considère pas ce moment comme une fin. Elle parle de « rencontre », de renaissance au monde du vivant, avec celui de la nature.
Le moment où tout a changé peut être léger aussi. Aucune injonction de s’adresser à un absent. Je laisse libre l’imaginaire. Peuvent alors être alors évoqués le premier baiser, le premier bal…

 

Comment es-tu accueillie dans les services ? 

Les patients sont dans l’attente, ils ont le temps. Ce sont des moments de vie suspendus. Les échanges sont très fertiles, dans le partage et l’ouverture. On a même des talents qui se révèlent. Ou des déclics avec les personnes proches, entre adolescents et parents par exemple. 

Les soignants sont, eux, dans leur cadre professionnel. Dans un premier temps, je ressens une timidité, ils nous regardent étrangement. Puis, ils plongent. Ils se livrent. Ils en ont vraiment besoin.

Ce qui est important à mes yeux, c’est l’histoire très vivante du projet « Les Remèdes de l’âme » qui s’inscrit dans la durée. Par les mots et la mémoire.


Es-tu heureuse de faire le concert « La Vie en vrai », ouvert à tous, au sein même de l’hôpital ?

Un concert, c’est symbolique après tous ces mois de fermeture. Je suis contente d’avoir recommencé à travailler. Tous ces regards et cette chaleur humaine sont très beaux. On sent le bonheur de se retrouver.

 

Propos recueillis le 11 mars 2022